JEUNE LC : LE « G ORIGINAL » LE PLUS JEUNE DE PARIS

Rencontrer le Jeune LC, c’est comme rencontrer un monument parisien. Il y a la part de superbe, la part de street cred, et surtout, une histoire, un vécu. Après des années passées dans le rap, la sortie de ce premier album -que certains n’espéraient plus!-, l’a rappelé à tous : le G original n’a jamais été aussi jeune qu’aujourd’hui. Rencontre avec celui qui représente Paris Nord, toujours en t-shirt blanc.

A l’heure où on se parle, ton album est sorti depuis 2 semaines ; quels sont les premiers retours ?

Beaucoup de bons retours ! Les gens se sont mobilisés, il y a eu beaucoup de retours et de partages, j’ai l’impression que les gens attendaient ca depuis longtemps. 

T’as sorti des petits projets avant, des EPs, des mixtapes avant. Est-ce que le fait de considérer ce nouveau projet comme un album, ca t’a fait aborder la chose d’une manière différente ?

Les mixtapes c’était des trucs non-officiels ! J’ai sorti deux EPs, quelques singles, et une compilation de quelques vieux morceaux qui s’appelle Anthologie Haussmanienne, qui est dispo sur les plateformes. Là, j’ai essayé de faire un album ; pour moi, c’est un format qui doit se respecter, on ne peut pas faire n’importe quoi. Il faut le bosser correctement, là j’étais avec un label, il fallait un certain cadre pour le faire et j’ai pu le trouver avec cette équipe. 386LAB, c’est un studio à la base, j’enregistrais là-bas depuis 2020. Il y a toujours eu une bonne vibe, donc de manière naturelle j’ai voulu le faire là-bas. J’aimais l’énergie et les ingés sons. 

T’as une forme de longévité dans le rap ; quelles étaient tes attentes en sortant ce projet à ce stade de ta vie de rappeur et aussi en tant que personne ?

Franchement, j’étais dans le flou… Là je suis encore dans le truc, je ne sais pas encore quelle va être la portée. Est-ce que ca va me transformer en rappeur à temps plein, est-ce que c’était juste « un album »… J’aurai du mal à le dire dans l’immédiat. Pour mes attentes, c’est un peu pareil, je n’ai jamais fait ça avant. Ca fait presque 30 ans que j’ai écrit mon premier texte de rap, et je sors cet album maintenant -28 ou 29 ans après, si on veut être précis !-, donc c’est particulier comme statut, c’est un premier album d’un vieux rappeur.

C’est une forme d’accomplissement ? 

Clairement, on m’en parlait, on me disait « Si tu ne le fais pas, tu vas le regretter toute ta vie ! ». Et c’était un peu un défi aussi, me demander si j’étais capable de le faire. Je suis assez difficile avec moi-même, je me dis toujours « Je peux faire encore mieux, il faut que je fasse encore mieux ! ». C’est mon côté compétitif, un peu sportif ! 

Quelles ont été tes influences en démarrant ce projet ? 

J’écoute très peu de rap français normalement, mais là j’ai écouté quelques trucs, et je suis tombé sur Guy2Bezbar et Leto. Je connaissais pas trop, j’ai regardé ce qu’ils avaient fait sur Youtube, et j’ai kiffé leur énergie ! Puis Leto vient d’un quartier où j’ai grandi à une époque, Porte de Saint-Ouen, donc je me suis retrouvé dans leurs ambiances. J’aime ce délire de rapper fort, de projeter sa voix, et moi j’ai ce truc aussi. Pas forcément dans les flows, mais dans cette technique de « rapper fort », en opposition aux rappeurs plutôt mumble rap. Ce truc énergétique ! Il y a un des sons dans l’album qui s’appelle « Dans le 10 », qui est un peu inspiré par leur type de prods !

T’as été proche de pas mal de rappeurs, Joe Lucazz, Aelpéacha, Riski… Sur ce projet on retrouve surtout Bon Gamin, c’est un choix de ta part de mettre en avant des gens qui ont toujours été proches de toi ? 

Avec Bon Gamin, on a une dynamique de travail qui fait que les choses vont se faire rapidement et bien, et qu’on va se capter facilement. Avec Loveni, on se comprend direct, ça va vite. Je pourrai faire un album ou un EP avec lui rapidement. Ichon, son style a un peu évolué, mais c’est pareil ; quand on se retrouve, ca match rapidement. Myth Syzer c’est pareil au niveau des prods. Je me sens plus proche d’eux musicalement peut-être. Les autres (NDLR : Aelpéacha, Riski, Joe Lucazz), ce sont des gens que je connais depuis plus longtemps que Bon Gamin, ce sont de bons amis. On est peut-être même plus liés dans notre musique qu’avec Bon Gamin, ce truc de rap très « parisien ». Mais ce n’est pas la même dynamique. Joe, il a ce truc très old-school, très boom-bap, Aelpéacha c’est vraiment west-coast… C’est des trucs que je kiffe, mais il y a une proximité avec Bon Gamin, une connexion et une aisance dans le travail. Riski et Joe, on aurait dû faire plus de sons avant. On a pris de l’âge ! Mais on a fait un son avec Joe ! Il sera sur son prochain album (Ndlr : No Name 3 est donc bel et bien en préparation !). 

Pour quelqu’un qui arrive sur Paris, qui marche dans Paris, c’est assez facile d’avoir des lines à toi qui reviennent en tête. Tu as cette écriture très « imagée » par rapport à la ville. Pour toi, c’est quoi être un « rappeur parisien » ? 

A Paris, il y a une vie dynamique. Tu fais partie d’un microcosme, que tu fasses du skate, du graffiti, que tu sois dans la Fashion Week, les brasseries…t’es dans quelque chose, donc ça va forcément impacter ta musique. Paris c’est comme un film, c’est cinématographique, il y a matière à illustrer tes rimes. Ma manière d’aborder une instru, ça va être de créer des images dans ma tête, penser à un endroit, un quartier, des personnes ; et je pars de ça. Mon processus d’écriture est très basé sur des images. 

Un peu comme peuvent le faire des réalisateurs de films finalement. C’est quoi tes références cinématographiques ? 

J’aime beaucoup Jim Jarmusch, Ghost Dog… Spike Lee, Francis Ford Coppolla… Ce genre de cinéma, même Tarantino. Jarmusch, il y a un truc particulier. Ghost Dog, il y a ce bouquin, le Hagakure, que j’ai lu, il y a un lien avec la poésie japonaise, la ville de New-York. Je lis beaucoup, j’apprends le japonais, dans les haïkus on parle systématiquement des saisons, c’est presque une règle. Donc peut-être qu’inconsciemment ça a influencé ma musique. 

Tu parles pas mal de lecture dans ta musique. Comment t’es tombé là-dedans, qu’est-ce que ça t’apporte dans une période où de moins en moins de personnes lisent ? 

Je suis né dans les années 80. Quand on était petit, y’avait pas grand-chose ; y’avait les jeux vidéos mais souvent, tes parents monopolisaient la télévision. Donc il restait la rue, le rap et les mangas. Quand j’étais petit, mon beau-père avait une grosse collection de bandes-dessinées, j’étais à fond dans les BDs et les mangas. Je traînais beaucoup dans les librairies, à l’époque il y avait Virgin, la FNAC, c’était ouvert jusqu’à minuit. Je me posais, je lisais dans les allées. Et j’en suis venu ainsi à la lecture et à la poésie. J’ai toujours eu une proximité avec l’objet livre, et en grandissant j’ai compris à quel point c’était important pour se développer intellectuellement. J’essaye de cultiver ça, l’écriture et la lecture c’est lié. 

C’est quoi tes premiers souvenirs en mangas et en BD ? 

Dragon Ball, Ken Le Survivant, Les Chevaliers du Zodiaque… Mon logiciel de réflexion a été modelé par Dragon Ball Z et Les Chevaliers du Zodiaque. Il faut se battre, être meilleur, progresser, il y a toujours un challenge à surmonter… Et en même temps, il y a la violence réelle de la vie. Ca m’a traumatisé *rires* ! Des fois je re-regarde des scènes des Chevaliers du Zodiaque, ça écrase des têtes, y’a du sang…

Y’avait un truc qu’on a peut-être perdu dans cette représentation de la violence dans les animes et les mangas actuels ; c’était très cru mais il y avait une forme de vérité là-dedans.

Totalement ! J’ai l’impression qu’aujourd’hui la violence elle est gratuite, alors qu’avant, elle avait un sens, une raison et une motivation. Puis il y avait un sens de la justice. J’ai toujours eu un sens de la justice assez fort, je n’ai jamais aimé faire du mal aux gens, faire la hagra. J’ai fait des conneries, mais j’ai toujours eu de l’empathie, peut-être que ça vient de là aussi. 

C’est quelque chose qui se ressent dans ta musique d’ailleurs ! T’as pas mal de phrases où tu parles de ces « conneries », que tu contrebalances avec le fait d’être quelqu’un de foncièrement bon.

Je peux pas juste dire que je suis un gars bien, y’a toujours un équilibre dans la vie. Je ne crois pas les gens qui disent « Ouais, moi je suis un gars bien », ce n’est pas possible *rires* Tu as forcément fait des trucs sales, c’est une honnêteté qu’il faut avoir. 

Ça fait partie de l’humain et du rappeur…

C’est la dualité entre le bien et le mal, le côté destructeur et auto-destructeur. Quand tu vends et/ou prend de la drogue, ça détruit la personne à qui tu vends et celle qui en prend. J’ai fait les deux, mais je garde cette force de construction. Faire du sport, être en bonne santé, faire des choses positives… Ça fait partie de ma vie, finalement, cette dualité. 

D’ailleurs, on t’as vu développer ton côté coach sportif sur les réseaux, tu parlais de gestion de bar dans des interviews précédentes, t’as l’air d’être assez hyperactif… C’est quoi une journée type du Jeune LC ? 

Une journée type, je me lève, je mange, j’vais faire mes étirements, écouter du son. Je vais à la salle, je mange, je me repose, et après je sors. Je vais me promener, je vais lire dans un parc, faire du son… A côté, j’ai mon activité de coaching, donc j’ai parfois des clients le matin ou l’aprem.. Moi j’aime bien être dehors, garder un contact avec l’extérieur, la réalité. Je ne suis pas dans ce délire de rester chez soi, d’être sur Internet… Je préfère la « jungle urbaine », c’est la réalité. 

Tu parlais d’avoir une mentale assez compétitive dans ton rap, est-ce que c’est ça qui t’a amené vers le sport ? 

Je l’avais en moi, mais je ne l’ai jamais développé. Avec la vie que j’avais avant, c’était compliqué. J’avais un bar, je buvais pas mal, je prenais de la drogue… C’est quelque chose que j’ai beaucoup ralenti, ça a permis au sportif en moi de s’accomplir pleinement ! Peut-être que j’ai pu faire cet album parce que j’étais dans quelque chose de plus positif, moins autodestructeur. 

Du coup au développé-couché, tu pousses combien ? 

100 kilos ! 

Ah ouais, c’est très sérieux ! 

Ouais, surtout que je pèse que 67 kilos ! 

Gucci Mane, sa période la plus faste c’était quand il dépassait les 100 kilos, Wiz Khalifa était super fort pendant sa skinny era…Est-ce qu’en te mettant au sport, t’as pas peur de perdre en puissance ? C’est une règle qui semble se confirmer à chaque fois… 

Je vois ce que tu veux dire *rires*. Je pense qu’il y a une forme de « mythe » autour de la défonce et des artistes, comme quoi ça rendrait créatif, ça aiderait. Moi, je pense que y’a beaucoup d’artistes qui auraient pu être meilleurs sans la drogue et l’alcool. Le sport pour moi, c’est bénéfique. Est-ce que ça va changer ma musique ? Peut-être, je pense que des gens se retrouvaient plus dans mon rap quand je parlais d’être sous pillave sur Strasbourg-Saint-Denis à 22h que quand je parle de faire des pompes sur le sol le matin. Mais après, ça ne va pas nuire à ma musique, elle va évoluer de manière plus positive, et ça me mettra dans un état où je serai plus à même de faire des choses positives. Mais oui, des artistes auraient pu être meilleurs s’ils étaient sortis de la défonce. Certains n’ont jamais sorti de trucs parce qu’ils étaient défoncés au studio, à croire qu’ils faisaient quelque chose, alors qu’ils ne faisaient rien. 

Tu parlais du fait d’être né dans les années 80, et pourtant tu gardes ce « Jeune » accroché à ton blaze de rappeur. Tu peux nous expliquer ta vision de la « jeunesse » ?

En fait, c’est garder l’esprit d’un enfant. Un enfant, il est pur. Plus tu grandis, plus y’a des nuages qui se forment autour de ton cœur, tu perds ta pureté. Rester jeune, c’est garder ce regard sur la vie, essayer de rester au-dessus de la noirceur que le monde t’envoie en grandissant et qui peut faire de toi un vieux con. Après, je suis peut-être aussi un vieux con sur certains points, mais j’essaye de garder l’humour d’un enfant, la façon de voir les choses de manière simple. Même si j’ai 40 piges ! Et physiquement, j’ai un peu une gueule de bébé, des fois on me donne 30 ans ! 

En parlant de jeune, sur ton album, tu as invité un jeune Suisse, Dimeh ; la connexion s’est faite comment avec ce rap suisse qu’on voit assez peu dans le paysage francophone ? 

Quand son équipe a commencé à arriver, c’était aussi notre période faste avec Bon Gamin, on a partagé un plateau et on s’est pris une claque ! On est devenus potes, on a connecté, et Dimeh c’est un rider. Quand il venait à Paris, c’est une époque où j’étais dans la ride, j’avais mon bar… Puis on est tous les deux marocains, ca crée une connexion aussi ! On est resté en contact, il m’avait appelé pour poser sur son projet, c’était logique pour moi de le ramener sur le mien. 

T’écoutes un peu de rap suisse ? 

Comme je te disais, j’écoute quasiment pas de rap francophone. Je suis plutôt branché rap US. 

Ça a été quoi tes dernières claques en rap US ? 

J’ai bien aimé Babyface Ray, Detroit… Drakeo The Ruler aussi, la scène de L.A., mais après j’aurai du mal à te dire ! J’ai pas mal été aux States, j’étais à New-York y’a pas longtemps.

Je fais un grand saut de New-York à Paris ; t’es un « mec du 10ème » à fond, tu en parles depuis longtemps, dans le clip de G Original, vous êtes postés vers Jaurès, y’a un son qui s’appelle « Dans le 10 ». Aujourd’hui dans l’imaginaire de pas mal de gens, le 10ème arrondissement c’est un quartier un peu bobo qui s’est beaucoup gentrifié les 15/20 dernières années. Comment tu vis la « gentrification » du quartier ?

Ah ça… je me le suis pris en pleine face ! A la base, je suis un mec du 93, mais mes parents étant séparés, ma mère habitait à la Fourche dans le 17. Mes 20 premières années j’ai grandi entre le 17 et le 9-3. Et à 20 ans, je suis arrivé dans le 10ème, ça fait 20 ans que j’y vis. Et en vrai a l’époque c’était pété ! Je suis arrivé au Canal St Martin, et je trouvais l’endroit claqué. Puis j’ai apprécié l’endroit et je m’y suis senti bien. J’ai vraiment vécu l’évolution de fou. Mais ça reste ma zone ! 

Y’a une forme de nostalgie ?

Il faut accepter que le monde change et évolue… Mais après, dans le 10ème, y’a des endroits qui ne vont jamais changer. SSD, ça restera toujours un peu ghetto, pareil pour Gare du Nord, Gare de l’Est, Barbès, Belleville, Stalingrad, La Chapelle…Le 10ème est gentrifié de l’intérieur mais l’extérieur reste rough ! 

C’est un peu comme le 18ème avec Château Rouge, Marx Dormoy et Montmartre.

Exactement, y’a la carte postale et le réel. Tu peux passer des badauds avec leurs poussettes aux crackers rapidement ! Mais j’en parle un peu dans l’album, de ce décalage dans Paname « entre clochards et boutiques de luxe, j’essaye de blanchir ma thune ». 

D’ailleurs, tu peux nous en dire un peu plus sur le titre de l’album, « Coton Blanc Argent Sale » ? 

Les gens comprennent pas toujours mes titres d’albums *rires* !  Ce que je veux dire c’est que malgré les trucs sales qu’on fait, qui « salissent » notre âme, on garde toujours l’apparence propre ! Le tshirt blanc, on reste toujours clean ! Tu peux pas être un rebeu du ghetto et être habillé « sale » ! C’est le contraste entre la saleté et l’apparence pimpante. 

Le tshirt est toujours blanc et toujours large ! 

Exactement ! C’est aussi une référence aux hustlers des States, qui sont toujours en white tee. C’est un clin d’œil à ça aussi. 

(photos de presse par @camneh)

Une dernière question, plutôt au niveau personnel : dans quel état d’esprit tu te sens « humainement » ? Tu parles d’avoir arrêté certains business, de t’être concentré sur le rap, à un moment tu dis que tu n’as « pas besoin qu’on te complète »… C’est des choses dont tu as de la facilité à parler ? 

Le rap c’est un peu ma thérapie, à défaut de voir un psychologue. Ce sont des choses qui sortent naturellement de moi. Après, ça a été difficile, il y a 10 ans de ça, j’ai ouvert un bar, j’étais dans la night fort ! Le confinement aussi, ça met en pause les choses, je l’ai plutôt bien vécu néanmoins mais ça reste des périodes complexes. J’ai eu quelques problèmes avec la justice, donc j’ai dû mettre des choses sur le côté. Là, je suis dans une meilleure vibe, j’ai passé mon diplôme de coach, j’essaye d’apprécier la vie comme un humain normal. Je suis en reconstruction ! 

Tu penses aller voir un psy un jour ? 

Ouais, peut-être ! Quand le moment viendra. Là, les choses se calment un peu… Des fois je pense qu’aller voir un psy quand tu es en plein dans tes traumatismes ce n’est pas toujours la bonne chose, il faut parfois être « prêt » à entendre ce que tu dois entendre, ça passe par un travail personnel aussi. Attention, je ne dis pas qu’il ne faut pas aller voir un psy quand tu es dans une période difficile ! Mais c’est peut-être encore plus bénéfique dans une période de reconstruction ! 

Propos recueillis par Pierre-Elie.

(Crédits photos : photos de presse par Camneh)

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