L’ENFER DE NIONTAY

Florence, Italie, 1303, Dante Alighieri commence l’écriture de son livre la Divine Comédie composé de trois parties : L’Enfer, Le Purgatoire et Le Paradis. L’Enfer de Dante, ou Dante’s Inferno en anglais, décrit la vision que l’écrivain a de ce lieu : un entonnoir qui s’est formé lors de la chute de l’ange rebelle Lucifer sur Terre. Les damnés y sont répartis dans des cercles selon une classification très stricte exigeant qu’ils soient frappés soit d’une peine contraire à leur faute, soit en analogie avec elle. La Divine Comédie est un classique de la littérature et n’a cessé de passionner les hommes sur les sujets qu’il aborde. 

La thématique de l’enfer est récurrente dans le hip-hop, que ce soit avec Mobb Deep et leur album Hell on Earth peignant un New York sombre et lugubre, ou encore dans le rap français avec Kaaris dans « Paradis Ou Enfer » qui se questionne sur ses actes, et sur si l’Enfer ne se trouve pas déjà sur Terre. Cette question de l’enfer, Niontay y pense souvent, jusqu’à nommer son projet Dontay’s Inferno, créant un jeu de mot avec l’œuvre de Dante. Dès le deuxième track, il nous informe : « There’s only one hell, ladies and gentlemen, We reporting live from this motherfucker ». Selon lui, on est en enfer : l’enfer de Niontay.

(visuel pour la collection AW23 de Patta par @karlhenss)

Niontay, jeune rappeur natif de Kissimmee en Floride, propose une musique difficile à caractériser. Malgré un son déjà très pointu et abouti, il ne rappe que depuis 2020, et ne compte à son actif que deux projets. Blood Diamond en collaboration avec le producteur SUIQE en 2021, s’est fait assez discret malgré une qualité remarquable pour un premier projet. Cet EP a permis à Niontay d’exprimer ce flow lent et laid-back qui le caractérise tant, le tout sur des prods abstract hip-hop

Son deuxième projet sorti en avril dernier, Dontay’s Inferno lui permet de reprendre ce flow alangui mais d’explorer plus d’univers dans ses productions. Un sample de soul avec une voix pitchée superposée d’une prière de louange au téléphone, le tout sur des samples de rap de Memphis, c’est ainsi que commence l’album avec le track « Da City of a Hunnid Plays ». Au vu de cette intro, on pourrait supposer que la suite de l’album sera constituée de mélodies et d’instruments samplés de musiques soul ou jazz rappelant des productions de The Alchemist, Nicholas Craven ou autres producteurs de cette scène précise. Mais non, « bac2highbac2reality » débute avec une mélodie entraînante, dansante et électronique avec des claps rappelant de la house ou des Milwaukee type beats.

Le titre phare « THANK ALLAH » s’ouvre ensuite avec des bass que l’on retrouve dans le rap californien ou de Detroit. La prod reste très minimale, presque ambiante car il n’y a aucune drums, et ce nest que lorsqu’il a fini de rapper que l’on entend les kicks, snares et hats

Vous l’aurez compris, Niontay ne se contente pas d’un seul genre et veut nous surprendre via ses différentes facettes musicales : il est capable de poser sur un sample old school puis d’enchaîner sur un titre dansant qui aurait sa place en soirée techno, et de continuer sur un drumless beat façon Detroit. Ces trois productions disparates, qui auraient pu se retrouver sur des albums d’artistes différents, sont pourtant toutes réalisées par le rappeur lui-même, tout comme la grande majorité du projet. Elles parviennent à former un ensemble concret rempli de multiples influences allant du skateboard aux Boston Celtics, en passant par Chief Keef, Joey Badass ou Jill Scott.

Les différentes villes dans lesquelles il a vécu se ressentent également dans sa musique. Né à Milwaukee, bien qu’il n’y soit pas resté longtemps, on peut percevoir dans certaines de ses prods une légère inspiration de Certified Trapper, le dernier phénomène de la ville. Niontay a d’ailleurs reconnu en interview qu’il était très influencé par ce dernier et son esthétique. Le rappeur a grandi en Floride, et on peut directement le voir de par ses wick dreads, coupe fétiche des jeunes de l’état. Son flow nonchalant rappelle celui de Kodak Black, que l’on pourrait considérer comme ambassadeur de la région, ou plus récemment Loe Shimmy et le jeune Luh Tyler. 

Il déménage ensuite à New York en 2018 pour être mannequin, et y est depuis resté. Il y rencontre en 2021 MIKE, qui le signe sur son label 10k, comprenant Sideshow, Jadasea et Laron, Anysia Kym, Salimata ou Camden Malik. Déjà bien entouré, c’est aussi un ami de longue date du new-yorkais à la voix pointue 454, qu’il a rencontré au skatepark d’Orlando à ses huit ans et qu’il a recroisé lors de son déménagement à New York. Ce dernier a d’ailleurs produit plusieurs tracks pour Niontay comme « Ain’t Shit » ou « RAPIDOLAMUSICA407 ». Cette retrouvaille a aussi permis aux deux amis de partager des edits de leur passion commune sur YouTube, où ils s’amusent à réaliser plusieurs tricks dans la Big Apple. 

Ces connexions lui permettent d’exprimer tout son talent lors de multiples concerts. Il a accompagné MIKE sur toute sa tournée Ipari Park et les fans de ce dernier ont tous été impressionnés par ce jeune homme d’1m72 qu’ils ne connaissaient pas encore. Wiki, pionnier de la scène underground new-yorkaise, l’a aussi invité dans sa tournée européenne sur certaines dates et nous avons eu le plaisir de l’entendre jouer deux titres à Paris le 21 juin dernier. À l’occasion de cette tournée, Niontay a pu réaliser un concert gratuit à Londres dont il était la tête d’affiche. Le public anglais a pu l’accueillir comme il se doit en chantant avec lui mot pour mot certains titres.

Le jeune floridien explique en interview qu’il est toujours très étonné de l’amour qu’il peut recevoir sur scène lorsqu’il accompagne MIKE et les cachets qu’il reçoit à la fin de ces shows lui rappellent qu’il est rappeur, que tout ça est vrai : « Wish a n*gga would, we gon free him from the simulation » ; « Get a bag n go home, n*gga, it’s the playoffs ».

Cet entourage très créatif, ses multiples influences et ses différents lieux de vie forment cette mosaïque si unique qu’est la musique de Niontay. Un style singulier, lui permettant de se dévoiler et d’aborder des thèmes parfois plus intimes.

Une thématique en particulier revient à plusieurs reprises au sein du projet : la religion. Contrastant avec l’enfer évoqué dans le titre de l’EP, Niontay y aborde également ce qui lui permet d’en sortir. Dès l’intro, une femme prie des louanges au téléphone. « THANK ALLAH » fait aussi référence à la religion directement dans le titre, mais aussi dans le refrain, où il répète en boucle : « Wake up, plot on gwala and thank Allah I’m alive » que l’on pourrait traduire par : « Je me réveille, je compte mes thunes et je remercie Allah d’être en vie ». Il confronte deux religions, laissant le flou sur sa confession.

‘Tay, comme ses amis l’appellent, a connu un gros gain en popularité en mai dernier grâce à ce titre, qui ne laisse personne indifférent. Le clip a été posté plusieurs fois en mai sur Twitter et les fans de l’underground US se sont empressés de chercher qui était ce jeune floridien marmonnant ses lyrics. En interview avec EricTheYoungGawd, il avoue qu’il ne pensait pas du tout que ce titre allait être le plus apprécié. Une anecdote amusante concernant ce son est que Niontay a directement enlevé les drums de la prod car selon lui, le beat était tellement incroyable qu’il aurait été gêné de rapper dessus. C’est son compère Sideshow, à qui il a montré les deux versions, qui lui a conseillé de sortir la version drumless.

Les auditeurs ont apprécié le flow tout d’abord mais aussi certaines paroles plus personnelles, comme : « I got demons like you, Difference is mines gang, mines squad, mines cool » que l’on pourrait traduire « J’ai des tourments tout comme toi, la différence c’est que les miens sont la mif, les miens c’est la famille, les miens on est cools ». Il a transformé ses peurs et ses traumatismes en force pour parvenir à cohabiter avec. Les difficultés auxquelles il fait face ne sont plus une fatalité pour lui et il réussit à surmonter ce qu’il qualifie d’enfer. Tout au long du projet, on comprend que ses anciens démons ne l’effraient plus et qu’il est maintenant prêt à atteindre ses objectifs. 


« Some of my n*ggas ain’t get this far past the door, bitch, I’m breaking ’em in »

« Play your hand, all the cards you was dealt, fam ».

Ces lyrics présentes dans « THANK ALLAH » et « bac2highbac2reality » sont comme une motivation pour Niontay : il faut que ses gars y arrivent, et saisissent toutes les opportunités qui leur sont données. Il le dit en interview : il ne se voyait pas du tout être à la place où il est aujourd’hui, il y a quatre ans.

(visuel par @jacob.consenstein)

Niontay est encore un jeune artiste, que la majorité du public n’a découvert que récemment et dont nous n’avons aucun doute sur le gain de popularité qu’il connaîtra. Sa musique est dans l’air du temps, combinant de multiples inspirations créant un son pur et très original. Niontay Hicks, de son vrai nom, est une combinaison du froid du Midwest de Milwaukee et de Detroit, de la chaleur et du soleil de Floride et du berceau du hip-hop qu’est New York. On espère que le rap l’aidera à obtenir la money et les hoes qu’il cherche comme il le dit si bien dans ce freestyle.

Article écrit par Maxime

(Visuel de l’image bannière issue du clip de « Ain’t Shit » par @jackieradinsky)

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