LA GUERRE TOTALE DE WORLD PEACE

La guerre, la violence, la brutalité et leurs séquelles ont toujours été traitées dans l’art, la musique n’y échappant pas, et la propension des groupes de metal extrême à s’emparer du sujet est telle qu’on trouve un peu de tout. Du groupe de power metal épique racontant des batailles vikings au one-man band de black metal dépressif parlant des répercussions de la violence en passant par les projets de noise expérimentaux traitant des traumas émotionnels, l’imagerie et la thématique de la violence collent à la peau de la musique extrême.

Le powerviolence est d’ailleurs un fier représentant de cette tendance. Ce sous-genre du punk hardcore, dissonant et rapide en accentue les aspects agressifs. Il se caractérise par un propos politique tout aussi chargé que le punk, entre anti-militarisme, misanthropie, abus de drogues et idéologie anarchiste, scandé d’une voix haineuse par les chanteuses et chanteurs. Le genre rencontre toujours un franc succès, et bénéficie depuis une petite décennie d’une seconde jeunesse, avec des groupes tels que Nails, Goolagoon, Harm Done, Zulu ou WORLD PEACE.

(Photos de presse de WORLD PEACE, photographe inconnu)

Formé en 2017 dans la Bay Area, WORLD PEACE (en majuscules) fait partie de ces groupes qui proposent une retranscription de la brutalité les plus directes. Nul besoin de guitares, le groupe se contente de deux basses et d’une batterie pour délivrer ses riffs explosifs. Et pour quiconque douterait des thématiques abordées, il suffit d’un regard sur les artworks ; sobres, efficaces, on y retrouve des photos en noir et blanc d’explosions, de ruines, d’avions de guerre, de pierres tombales… Associez ces visuels aux titres des projets, et vous comprendrez l’ironie du nom du groupe. Après l’excellent COME AND SEE en 2021, WORLD PEACE remet le couvert cette année avec IT IS WRITTEN, leur deuxième « long format ».

(Cover du projet It Is Written)

Les guillemets sont volontaires, car IT IS WRITTEN, en bon album de powerviolence, dépasse à peine les 10 minutes pour 20 titres. Pas de guitares (et pas de refrains non plus d’ailleurs), on le rappelle, pourtant une réelle science de la mélodie anime le groupe. Des lignes de basses simples, mais d’une redoutable efficacité, qui donnent quasi instantanément envie de casser sa nuque. Il s’en dégage quelque chose de presque primal, d’instinctif, et ce dès les premières mesures. Hurlements possédés, chant criard et riffs caverneux sont soutenus par une section batterie capable de donner tout autant dans le blast beat que dans la rythmique hardcore efficace.

Sur IT IS WRITTEN, le temps moyen d’un morceau est d’environ 30 secondes, à l’exception du premier et du dernier. Et pourtant, chacun d’entre eux condense un savoir-faire et une capacité à créer un chaos organisé. Des assauts courts, rapides et brutaux, à l’image d’une montée au front, et dont l’intensité ne faiblit pas. L’album ne se contente pas d’être un rouleau compresseur constant, mais laisse également la place à des passages plus lents. Comme si le groupe nous laissait reprendre notre souffle entre deux montées au front, avant de rebalancer une salve destructrice. Les trois morceaux les plus longs – l’intro, «Gnostic Reform» et l’outro – emplissent parfaitement leur rôle, en nous préparant, nous offrant un répit, puis une sortie de secours de ce champ de bataille qu’est l’album.

WORLD PEACE démontre sur ce second LP maitrise et inspiration, et tout laisse à croire qu’ici, rien n’a été laissé au hasard. Alors que, sur le principe, et au-delà de l’originalité de ne pas avoir de guitariste, WORLD PEACE joue un powerviolence plutôt classique dans sa forme et dans son fond ! Mais il y a des choix musicaux intéressants chez WORLD PEACE, qui les distinguent parmi leurs non moins bons congénères. Une ambiance angoissante, rendue cohérente par la présence permanente d’un feedback (son involontaire produit par un ampli lorsqu’on pose un micro trop proche de celui-ci) entre les morceaux ; les paroles, cryptiques et ésotériques, profondément antireligieuses, attaquant directement la politique et son implication dans les conflits et scandées avec une hargne communicative; les artworks aussi, qui jouent dans l’image qu’on se fait d’un album, et qui collent à l’impression de destruction totale que donne l’album. La campagne de promo de celui-ci reprenait d’ailleurs les panneaux de messages religieux, courants aux USA.

(Visuel issu de l’Instagram de World Peace)

IT IS WRITTEN est le digne successeur de COME AND SEE, de l’artwork au format, jusqu’au nombre de tracks. Véloce, féroce aussi, l’album laisse peu de répit à l’auditeur de par l’explosivité des morceaux. Alors qu’on pourrait imaginer qu’un album de metal sans guitare sonnerait plutôt « plat », il convient de saluer le travail réalisé sur le mix des basses, dont l’intensité combinée à la frénésie de la batterie contribuent à cette ambiance très « blitzkrieg ». WORLD PEACE n’en demande pas trop à l’auditeur et envoie ses morceaux comme on lancerait un parpaing dans le bouclier d’un respectable membre de la respectable Compagnie républicaine de Sécurité : en y mettant tout son cœur et toute sa haine.

Depuis leur premier projet THE MOST NOBLE IMPULSE OF MAN en 2017, WORLD PEACE n’a pas changé, mais a raffiné sa formule pour devenir l’un des groupes de hardcore/powerviolence les plus nerveux et efficaces. Une expérience qui, transposée sur scène, résulte immanquablement en un joyeux bordel, dont on ressort en ayant perdu quelques dents et quelques neurones, mais ô combien cathartique !

( Visuel issu de l’Instagram de World Peace)

Article écrit par Piwi Longuevoie.

(Crédit visuel bannière : photo issue de l’Instagram du groupe, photographe inconnu)

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