Atlanta a sombré dans le chaos. La ville se noie dans une brume de cendres ardentes et se consume doucement dans les flammes. Dans cette jungle de béton, les tours qui n’ont pas cédé sous leur poids ressemblent à des arbres au tronc putréfié qu’une simple brise pourrait balayer. Les autres forment quant à elles des catacombes aux allures de montagnes morbides. À travers les rues délabrés de la ville règne un calme sinistre. Les voitures sont retournées sur leur toiture et baignent dans une flaque d’essence que les braises enflamment, d’autres se sont encastrées contre les vitrines des magasins pillés, abandonnés. Pas une trace de vie humaine dans le centre de la ville si ce n’est les corps sans âme qui jonchent le sol comme des feuilles mortes au pied des arbre en automne.
À travers cette nécropole enflammée, une seule silhouette rode à travers les macchabés de chair, de béton et de fer. Capuché et sous une sorte de longue houppelande noire, sa démarche rappelle celle d’un ivrogne maladroit. Dans ses deux mains, deux énormes pistolets encore fumants, plus grands que le Slender Man. On perçoit à peine son visage. Sur ses joues se sont propagées des écailles innombrables pareilles aux cassures d’un vieux parchemin. L’iris de ses yeux rouges, en alerte, perce une brèche dans l’obscurité. À mesure qu’il vagabonde dans les rues méconnaissables, des basses distordues aux allures de musiques martiales retentissent dans l’air frelaté. Par dessus, une voix nasillarde déchire le silence dans des cris plaintifs. Elle semble combattre une deuxième voix faite d’aboiements et de grommellements bestiaux.


En réalité, les deux cohabitent dans le même corps. Le Mad Man, une sorte de créature étrange a pris logis dans la chair de BabyDrill et ne se réveille que par des sursauts schizophrènes, synonymes d’appels au meurtre. Dans ce remake de The Thing supplément Ak47 encrassé et drive by dans le quartier de ses ennemis, Baby Drill entame son nouveau projet, Mad Man, avec une intro plus qu’équivoque : « Baby Drill vs Mad Man », une sorte de version atlantesque de King Kong vs Godzilla. Il y apparait habité par cet esprit maléfique et meurtrier qui se nourrirait de l’esprit de ses victimes pour survivre dans le corps du rappeur. Les lignes du couplet s’enchainent comme une discussion ou plutôt une lutte entre lui et son alter ego monstrueux. L’apparition du Mad Man sera récurrente sur le projet et notamment dans « King Smoke » où BabyDrill énumère sous des airs de cantines que quatre personnes sont mortes. À chaque fois les grognements de Mad Man répètent ce nombre en y prenant un plaisir viscéral. Dans « Standing Ovation », on entend le souffle chaud, les reniflements appâtés et les beuglements de la créature comme si elle était tapie dans les égouts d’Atlanta prête à sortir faire un massacre : « Bitch I beat bodies and seek blood ». Sur « Mad As Fuck », les cris rauques et rudes de BabyDrill se font plus intenses à mesure que les secondes défilent, sa voix parfois à la limite de la fracture. En bref, il manie tellement sa voix de plusieurs intonations et modulations que l’on pourrait parfois en oublier qu’il est seul sur le morceau.
BabyDrill, en bourreau (« Bitch im a soul snatcher »), alerte plusieurs fois ses victimes de s’enfuir pendant que le Mad Man qui a pris le contrôle de son corps se marre de voir la ville sombrer. Est alors réanimé une sorte d’horrorcore façon Three 6 Mafia mais cette fois rappé par une voix de gremlins que l’on aurait nourrit après minuit et qui se vanterait que les crânes explosent et que la chair se déchire sous les balles de ses fusils. Le jeune rappeur de 21 ans entretient ainsi l’héritage des Atliens contemporains que sont ses ainés Young Nudy et 21 Savage avec un rap ultra funeste, une voix unique et une passion commune pour Chuky et Jason Voorhees. Sur « Slight Dub », où les trois se retrouvent sur des bruits de métaux distordus et des basses saturées, chacun fait preuve de l’indécence la plus régressive. Leurs flingues sont plus gros que des voitures, leurs shooters semblent venir tout droit d’Irak et leurs ennemis se retrouvent en cendre après leur passage. Finalement, le morceau est ce qui se rapproche le plus d’un carnage, réanimant ainsi les souvenirs des différents Slimeball de Nudy ou de Slaughter King de 21.
Cette ambiance effroyable revient en grande partie à la production luciférienne de WhatItDoFlip sur la quasi entièreté de l’album. Les morceaux d’un Nudy auront quelque chose de parfois champêtre, grâce aux travaux de Pierre Bourne notamment, alors que pour BabyDrill, les paroles et les mélodies confinent l’auditeur dans une atmosphère constamment malsaine. On y entend des synthés criards sur « Vibe Check » et « King Smoke », des pads paranoïaques sur « Send Deposit » et « Drug Sex ». Retentissent également les notes les plus angoissantes d’un piano désaccordé sur « On My Conscious » et « Ms Gummy » comme si le tueur du film s’introduisait dans la maison avec un couteau plus grand que son avant bras. Les hi hats et claps sonnent eux comme des outils que l’on aiguiserait. Par dessus s’écrase les basses distordues et rebondissantes et la liste de crime de BabyDrill prononcée la mâchoire serrée.
Ces sonorités d’épouvante rappellent parfois les productions style « Playa Hataz » ou « I Thought Knew » de Juicy J et Dj Paul mais sont accentuées par les BPM que WhatItDoFlip veut très lent. À l’exception de quelques morceaux comme « Woke Up » ou « Stop Running« , dans lesquels BabyDrill rappe à un rythme plus soutenu, l’ensemble du projet a quelque chose de lancinant qui glace le sang. L’auditeur est pris par une sorte d’angoisse paralysante comme si l’écoute de Mad Man était un cauchemar éveillé. Les basses conçues comme éléments centraux sont lourdes, tombent comme des chapes de plomb et martyrisent des mélodies déjà obscures. Une bande-son parfaite pour les film d’horreur les plus gores du genre.
Dans Ms Gummy, cette fois produit par Coupe, le projet prend ses teintes les plus obscures comme les notes de pianos qui introduisent le morceau. Étouffante, l’instrumentale donne l’impression pour l’auditeur d’être confiné dans les sous sols d’Atlanta, traqué par le Mad Man. Quand les basses retentissent, s’effondrent sur cette nébuleuse mélodiques ultra sombre, l’impression que la créature se rapproche est palpable. Ses pas se font plus rapides, plus lourds. On entend désormais son rire redoutable et son souffle de bête agonisante se rapprocher. Plusieurs fois, il hurle hors d’haleine : « MAD MAN », sans doute les dernier mots que ses proies entendront. Quand BabyDrill se met à rapper c’est le moment où l’on sait qu’il est trop tard, que plus rien se sert de s’épuiser à trouver une issue et que votre bourreau va asséner son ultime coup net et concis. La façon qu’il a prononcé certains mots plus que d’autres comme si il était possédé, littéralement hors de lui donne réellement corps à cette ambiance obscure, ce qui est assez saisissant.
Le projet s’achève avec « Blood Bath », un pain song étonnant aux allures de rédemption pour BabyDrill. Après que le Mad Man, allégorie de ses démons, ait quitté son corps, il contemple impuissant les dégâts qu’il a causé, les corps empilés, les flammes de l’enfer qu’il a lui même créé et le visage de sa mère meurtri par la fatigue et la tristesse. Dans sa bouche se mélange le gout métallique du sang, du souffre et de l’amertume. Coincé au milieu de ce tourbillon fait d’hurlements de douleur, de braises crépitantes et de meurtre, ses jambes l’abandonnent et sonnent la conclusion de son périple destructeur. Il se retrouve allongé dans une mare de d’hémoglobine et d’essence, peut être le seul moyen pour un Atlien de laver ses pêchés.
Après ces 40 minutes d’horreur, BabyDrill aura eu le temps de détruire toute la ville d’Atlanta pour reconstruire sur ses ruines. À seulement un peu plus de la vintgaine, moins de deux ans après avoir commencé à rapper et des passages en prison à répétition, il confirme déjà par la force des choses et le chaos qu’il est actuellement l’attraction la plus divertissante et effrayante de la trap.
Article écrit par Victor.
(Visuel bannière : John Cannon)