Véritable porte étendard du rap de l’Alabama aux côtés de son compère historique NoCap, Rylo Rodriguez n’a pas la trajectoire de carrière la plus commune. Le « grand public du street rap » le découvre en 2017 en featuring, par deux fois, sur l’excellent projet « Too Hard » de Lil Baby. On le retrouvera d’ailleurs, à partir de ce moment, quasiment chaque année au sein des invités sur les disques de la superstar d’Atlanta. Une tendance qui donnera à Rylo auprès de beaucoup d’auditeurs l’image du protégé ou même du « petit » de Baby alors que ce dernier est en réalité plus jeune. La vision la plus censée serait de définir cette relation comme deux partenaires relativement historiques avec la volonté d’atteindre ensemble les sommets. Durant cette période, le rappeur originaire de Mobile en Alabama est surtout réputé pour son duo avec NoCap. Une connexion et surtout une amitié qui se symboliseront avec la sortie de la tape Rogerville en 2018.
À première vue, la plus grande particularité de Rylo Rodriguez réside tout simplement dans son lieu d’origine et de résidence. L’Alabama n’est pas particulièrement, sur le plan historique, une terre de rap. L’état aura certes vu naître le légendaire Gucci Mane mais c’est évidemment du côté d’Atlanta qu’il fera carrière. La liste des artistes rap en provenance d’Alabama, hormis Rylo & NoCap, ne fera pas rêver le grand public bien qu’on puisse trouver quelques talents isolés à droite et à gauche : Yung Bleu, Flo Mili ou encore OMB Peezy… Littéralement donc insuffisant pour pourvoir parler d’une vibe ou même plus simplement d’une scène Alabama. Le duo Rylo – NoCap est justement peut-être le premier élément à donner la sensation de pouvoir influer quelque chose dans la région et lancer un mouvement autour d’une recette commune. La musique de ces deux rappeurs n’a pourtant rien révolutionné au sein du rap américain et puise totalement ses inspirations auprès des terres voisines que sont la Georgie ou le Tennessee. Le vrai tournant pour eux fut l’explosion du pain rap au sein de la sphère mainstream, un exercice au sein duquel les deux artistes se trouvent parfaitement au point d’apporter progressivement une touche de plus en plus propre à eux-mêmes.
Ce n’est finalement qu’en 2020 que Rylo lâchera son premier vrai projet solo taillé pour un public plus large : G.I.H.F. . Dans le même temps, NoCap prend un peu plus son envol avec des premiers projets très qualitatifs qui tapent parfois dans l’œil des plus grands médias. Son fidèle compère ne sombre pas pour autant et continue de grimper progressivement les échelons en maintenant sa connexion très cohérente avec Lil Baby et quelques autres rappeurs d’envergure. Rylo parvient à attirer l’œil mais se fait très vite rattraper par des comparaisons beaucoup trop facilement mises sur la table avec Baby, Future et bien d’autres. Il change alors sa stratégie, du moins d’un point de vue extérieur, en ne sortant pas le moindre projet pendant trois ans tout en multipliant les apparitions sur les projets de certains des noms les plus en vogue du rap : Lil Baby, Kodak Black, MoneyBagg Yo, Trippie Redd, EST Gee, 42 Dugg… Le rappeur drop également à côté de ça des singles qui connaissent un franc succès, notamment sur YouTube qui reste une plateforme de grande importance en ce qui concerne le street rap, à l’image de « Set Me Free » ou encore « No Apologies ». Il faut ajouter à ça quelques petits mois en prison en 2021 pour divers problèmes qui n’ont évidemment pas aidé au maintien d’un rythme de production élevé. On peut néanmoins regretter à mon sens de ne pas avoir eu le droit à un projet de Rylo sur cette période de fin 2021 – début 2022 du fait que le momentum, en terme de qualité produite ainsi que de visibilité, semblait vraiment très intéressant.
Rylo Rodriguez marque définitivement son retour le 30 juin (après une mixtape exclusivement sur Youtube pour s’excuser de l’attente) avec ce qu’il considère comme son premier album studio : Been One. Un projet qui a de quoi faire peur aux nouveaux arrivants avec pas moins de 19 titres pour une durée supérieure à une heure mais qui peut également hyper les fidèles du rappeur avec en prime un sacré casting : Lil Baby, Lil Durk, Lil Yachty, NoCap, EST Gee… Les adeptes de Rylo attendaient avec impatience cet opus, d’autant plus que l’ascension de NoCap sur ces dernières années laissait un léger sentiment d’inachevé du fait de l’absence relative de son compère. La première chose qui frappe à l’écoute de l’album est sans l’ombre d’un doute la voix de l’artiste, ou plus exactement son articulation, qui semble encore se détériorer. Un détail qui pourrait sembler problématique mais qui dans le contexte du pain rap vient aussi apporter une toute autre résonance aux lyrics.

L’intro ramène Rylo dans ce qu’il fait de mieux avec une mélodie assez mélancolique et une peinture particulièrement honnête et sombre de sa réalité. Le projet entier nous transporte dans les recoins les plus sombres des rues de l’Alabama. Une tendance qui atteint son point culminant dans le déchirant « Right », Rylo y aborde sans détour notamment la banalisation de la mort au cours de sa jeune vie.
« Opps in the club, tryna have staring matches with a n***a
Can’t wait to catch him, leave him dead with his eyes open
I thought when you make it your problems gon’ just go away or something
I know that sound a little bit crazy, but that’s the real »
« I’m so used to death, can’t even shed no more tears
I’m so used to you depending on me for real
You got family I ain’t seen in years »
Une ambiance morose qu’il ne laisse pas s’éterniser avec l’arrivée de bangers beaucoup plus dynamiques et optimisés pour le turn up à l’image de l’efficace « Real Type » aux côtés de Lil Baby. Les prods sont également assez habilement variées pour ne pas rendre l’écoute trop longue, on passe ainsi d’ambiances assez aériennes et nostalgiques sur un morceau comme « Free Game » à une approche bien plus explosive comme c’est le cas pour « Unfuckwitable ». La collaboration avec Lil Durk s’avérait assez attendue du fait de sa cohérence évidente sur le papier et ne déçoit clairement pas. Les sujets majeurs abordés dans le morceau, à savoir la trahison et les tragédies quotidiennes, étaient prévisibles mais sont sublimées par leurs récits et leurs voix si particulières.
« I come from a place where if you die, your bro the shooter
Sittin’ in the church, I heard his name and say hallelujah
Really think God done sent me here to pray for all they funerals »
Le feat avec Lil Yachty était en revanche plus difficile à anticiper mais se révèle extrêmement catchy avec une mélodie qui marque les esprits et une alchimie agréable à entendre. La deuxième partie du projet diffère quelque peu de la première avec une très grande majorité de morceaux solo laissant plus de place à Rylo pour nous inviter dans son intimité. Je pense notamment au très émouvant « Equal Dirt » dans lequel il aborde le tragique assassinat d’une de ses premières copines par son nouveau compagnon. Des traumatismes liés à la perte de proches qu’il aborde de nouveau avec « End of the Road » et son refrain à la fois très simple mais non moins bouleversant. C’est finalement la fin du projet qui nous offre le hit de l’album, « Thang For You », sur lequel on retrouve l’iconique duo Rylo – NoCap. La recette maison de la doublette est entièrement respectée avec toujours une mélodie assez mélancolique et une manière habile de pousser la chansonette dans les moments opportuns. Un titre qui vient rajouter encore un peu plus de hype à l’idée d’un nouveau projet commun des deux hommes dans un futur proche.
« Been One » nous livre la peinture d’un homme résigné et enclin à la solitude suite à de nombreux événements tragiques au cours de sa vie. Le propos du projet paraît évidemment, au premier regard, résolument trop sombre pour le grand public mais Rylo a l’intelligence de varier les manières de transmettre cette peine sous forme de musique comme a pu le faire autrefois à plus grande échelle un Future. La barrière de son flow ne sera pas forcément évidente à passer pour tout le monde mais une fois cette étape franchie on se laisse facilement prendre au jeu. L’album s’en sort en plus de manière très honorable sur le plan commercial avec notamment une première semaine à la 10eme place du Billboard avec près de 36 000 ventes, de quoi espérer encore de très belles choses pour Rylo. En attendant, ce projet pourra se réjouir d’être celui qui m’a marqué le plus en cette année 2023 au point de me relancer dans la rédaction.
Article écrit par Eddy.
(Crédit visuel bannière : Photographe inconnu / Graphisme : @arthurphl)