REDDA, UN MONDE SOUS D’AUTRES ÉTOILES

Redda est revenu le 23 juin dernier avec Pink Reign, le projet le plus ambitieux de l’artiste à ce jour. Entre exploration cosmique, monde apocalyptique et course de vitesse en navette spatiale, le jeune rappeur est devenu l’un des OVNI les plus intriguants de la scène underground.

« Its after the end of the world, don’t you know that yet ». La phrase est répétée en boucle. En même temps, dans l’obscurité de l’espace où seules brillent les étoiles, s’engouffre une navette. Elle prend la forme d’un corps allongé, les bras plaqués contre ses flancs. À mesure que sa silhouette se dissipe pour ne devenir qu’un point se confondant avec les astres, la voix s’affaiblit, la clameur se dissipe pour ne devenir qu’un balbutiement. Après une errance dont la durée demeure un mystère, l’engin fait alors escale sur la planète Arkestra. Des gouttes perlent encore sur l’herbe humidifiée de la rosée matinale, le ciel est poli, légèrement rose pâle, les mille couleurs des arbres éclatent avec la lumière jaillissante de l’aube. Au milieu de cette quiétude préservée, deux formes se frayent un chemin à travers les fougères, le houx et les branches d’arbre qui jonchent le sol. La première porte une tenue fastueuse qui évoque celle de l’Égypte Ancienne : tunique argentée, cape d’or, des bijoux incrustés de lapis-lazuli et un némès, la coiffe majestueuse des pharaons, duquel il y est relié une immense et large perle en or. Il n’y a pas de doute sur son identité, il s’agit bien du jazzman Sun Ra. Derrière lui, une silhouette capuchée et dont le visage est substitué par un miroir lui ferme le pas. C’est ainsi que s’ouvre le film Space Is The Place dans lequel le musicien retranscrit au grand écran l’album éponyme qu’il avait sorti un an auparavant. 

« The music is different here, the vibrations are different not like planet Earth. Planet Earth sounds of guns, anger and frustrations » confie Sun Ra au moine sans visage tout en inspectant les sons qui envahissent l’air d’Arkestra. Porté disparu depuis son concert en 1969, Sun Ra a préféré quitter la Terre pour trouver un logis à l’homme noir. Il est persuadé que pour atteindre cet asile, il faut que la musique soit le transit. Ainsi, en figure de l’afro futurisme, l’intersection entre blaxploitation et science fiction, la musique cosmique de Sun Ra est rempli d’orgues électriques et de synthétiseur criards. Ses concerts ressemblent plus à des incantations mystiques où il se métamorphose en une sorte de gourou cosmique. Son corps n’est qu’un spectre qui erre sur terre alors que son esprit divague entre Arkestra et Saturne dont il est persuadé de venir.

Depuis qu’il a quitté la terre en ne l’ayant habité en réalité qu’à moitié, son héritage et sa fascination pour le cosmos perdurent, avec le rap comme principal adepte. Future se surnomme Pluto et foule à son tour la Lune avec Astronaute Status. Outkast s’entoure de ces énormes insectes bodybuldés dans ATliens. Dj Spinz et Dj Pretty Boy Tank invitent les plus fameux extraterrestres dans la série de mixtapes Space Invaders. Chad Hugo et Pharell Williams s’imaginent dans Star Trek avec The Neptunes Presents…Clones. Enfin, le dernier en date à avoir parcouru le cosmos à la vitesse de la lumière n’est autre que Redda chez qui chaque album est l’exploration d’une nouvelle planète.

(crédit : Our Generation Music)

En 2021, Redda se fait remarquer en sortant Body, un morceau d’à peine une minute trente dans lequel il rappe à toute vitesse sans quasiment jamais s’arrêter pour reprendre sa respiration. Sous son turban et derrière des lunettes en forme d’yeux d’aliens, Redda ne laisse paraitre qu’un visage juvénile et inexpressif. Il laisse entendre une voix immaculée, presque monotone mais jamais ennuyeuse. Le tout est exécuté avec une décontraction insolente. L’instrumentale, elle, ressemble plus à une sorte de spirale sensorielle injectée de FX et de Hi-Hats qui partent dans tous les sens. Sous les étoiles éclatantes de ses Maybach bleue ou orange, Redda raconte qu’il intoxique sa frêle carcasse en avalant fiévreusement des pilules et en arrosant sa gorge de longues lampées de sodas trafiqués, à en oublier le nombre de gobelets qu’il a pu remplir. Le style de Redda est incisif, presque robotique tant l’intonation est implacable alors que ses couplets ne sont qu’une ode à l’ivresse codéinée, à la débauche et à la vantardise. Un plaisir rudement coupable et sans aucun doute déjà addictif.

Dans le clip d’« Ancient », le monde qu’il présente est hostile. Le soleil fissure les pierres, assèche la rare végétation. La chaleur fait de la poussière une cendre brulante. Les collines au loin ne sont qu’ombres menaçantes. L’horizon ne fait voir qu’une steppe en feu où rien ne pousse, rien ne germe. Ne demeurent que le temps sans saisons et la solitude au milieu des créatures et des mythes. Dans ce paysage apocalyptique revisité à la sauce Mad Max, Redda trône seul autour des tourbillons de sable et des crânes décharnés géants. Par-dessus ce paysage de géhenne de feu, les mélodies sont tout aussi accablantes et acerbes. On a l’impression qu’elles viennent tout droit de grosses voitures faisant crisser leurs pneus sur le bitume à en épuiser le caoutchouc. Les synthétiseurs hurlent, les Hi-Hats assourdissent comme des salves de blaster qui partent dans tous les sens, les basses rebondissent à un moment ou grouillent comme le gémissement d’une bête meurtrie à un autre. En ressort alors un ensemble aussi chaotique qu’incompréhensible semblable à la fois au rugissement d’un turbo V6 et aux bruitages abrutis de dessins animés. On ressent dans les cloches d’églises, la saturation des synthés, le crépitiement des Hi-Hats et les Rolls de snare interminables que Redda, comme tout une génération d’artiste, a été biberonné aux Chief Keef, Gucci Mane, Fredo Santana et consorts. Il suffisait juste un ordinateur et une version craquée de Fl Studio pour que l’héritage se perpétue, puis se modernise un peu. Les clips se sont juste déportés des cuisines du fin fond de la Géorgie ou du Michigan vers des planètes d’un système solaire inconnu.

Dans « Drank« , « Rich » ou « City » l’instrumentale assomme dès les premières secondes et Redda ne lui laisse jamais de répit. Une fois lancé, il ne s’arrête plus. Il est comme un bolide dont on aurait sectionné les freins et que l’on aurait jeté sur circuit sans fin. Dans un coupé ou sa fusée, Redda ne fait pas attention à la vitesse et s’en rend compte seulement quand il jette un oeil à travers la vitre et qu’il remarque alors que les paysages se sont déformés en stries. Chaque mesure simule une rafale qui superpose la précédente. Un moment Redda enchaine un couplet à bout de souffle dans une monotonie presque paresseuse, mais en réalité sans failles. Puis soudain dans le morceau succédant, le flow presque maniaque se transforme en une complainte comme s’il se rendait compte que cela faisait plus d’une minute qu’il n’avait pas repris sa respiration. Le tout s’effectue toujours sur une instrumentale qui suffit à elle même à réveiller tout le voisinage. Le genre de production où l’on ressent l’héritage de Chief Keef qui n’aurait pas lésiné à les embellir à base de grognement, de chants râpeux un peu faux et de lamentations autotunées dont lui seul a le secret.

La façon de rapper est hypnotisante chez Redda. Elle rappelle un peu celle de Future duquel le jeune rappeur ne cache pas l’influence en s’auto-proclamant parfois Lil Pluto. D’autant que les thématiques se rejoignent. Les deux parlent beaucoup de sexe, même si Redda ne se la joue pas romantique torturé à la Don Juan comme Future. Les deux sont des consommateurs excessifs de boisson pourpre médicamenteuse même si Redda ne s’en trouve jamais vraiment engourdit. Les deux aiment le luxe et ne se gênent pas pour mentionner les marques de designers qui agrémentent leur garde robe. Les deux ont la nuque et le poignet qui brillent de l’éclat des VVS qu’ils collectionnent. Et enfin les deux aiment la vitesse, que ce soit dans les productions aux BPM plus outrancier les uns que les autres ou dans les bolides qui trônent comme des statues de carrosserie et de pneu devant leur manoir. Le genre de vitesse qui vous paralyse au fond de votre siège et qui alourdit vos muscles de leur plomb. C’est d’ailleurs une dose d’adrénaline que les rappeurs en quête de sensation lui réclament aussi. Redda auto-produit déjà en grande partie ses albums et offre également ses services auprès de Lancey Foux, Lucki ou encore Trippie Redd dans un featuring avec Future et Lil Baby, le dernier gratifiant la production d’un couplet enregistré à l’arrache sur Whatsapp.

Finalement, quand Sun Ra choisit de poser ses valises sur Arkestra, Redda semble être plutôt un explorateur, errant dans une soucoupe continuellement lancée à peine vitesse. À travers des étoiles d’un autre monde, il garde contact en transmettant les projets qui font figure de carnet de voyage à son aventure dans le cosmos. Emmitouflé dans sa capsule, un ordinateur avec FL en face de lui et deux gobelets empilés dont le contenu gicle, ébranlé par les secousses de sa navette, Redda est l’OVNI qui pourrait bien conquérir la Terre et plus encore.

Article écrit par Victor.

(Crédit visuel bannière : Photographe inconnu / Graphisme : @arthurphl)

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